L'Arabie Saoudite, le Soft Power à travers l'Art : L'exemple de l'Exposition Universelle
Comment les membres de l'OPEP améliorent-ils leur image à travers des événements de grande envergure ? Une illustration avec l'Arabie Saoudite.
Drapeau de l’Arabie Saoudite durant l’Exposition Universelle de Dubai en 2020
Depuis les débuts de la civilisation moderne, les ressources naturelles ont été au cœur des dynamiques économiques et politiques. Parmi elles, le pétrole a acquis une importance stratégique, devenant un des moteurs de développement et de pouvoir pour les nations qui en détiennent les réserves. À l’ère de la transition énergétique mondiale, ce postulat est en pleine mutation. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), créée en 1960, se trouve au centre de ces transformations. Représentant treize nations productrices, elle ne se limite plus à stabiliser les marchés mais doit désormais anticiper un avenir où le pétrole ne sera peut-être plus roi.
Dans ce contexte, l’Arabie Saoudite, leader incontesté de l’OPEP, incarne les défis et les opportunités de cette transition. Ce royaume, riche en hydrocarbures, a amorcé des initiatives ambitieuses visant à diversifier son économie, tout en définissant son image sur la scène internationale. À travers des stratégies mêlant soft power et investissements spectaculaires, le pays tente de s’imposer comme un acteur incontournable du monde de demain. Cet essai explore ces évolutions en s’appuyant sur un exemple marquant : l’attribution de l’Exposition universelle 2030 à l’Arabie Saoudite.
Repères géopolitiques
L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est une organisation internationale créée en 1960, regroupant actuellement treize pays producteurs de pétrole. Son rôle principal est de coordonner les politiques pétrolières de ses membres et de garantir des prix stables sur les marchés internationaux tout en assurant un revenu équitable pour les pays exportateurs. L’Arabie saoudite, en tant que premier exportateur mondial de pétrole, joue un rôle central au sein de l’OPEP, influençant les décisions économiques globales.
Ce pays d’Asie est aujourd’hui face à un enjeu de taille : se détacher de sa dépendance aux hydrocarbures afin de prévoir la transition vers les énergies verte que prévoient des pays consommateurs de pétrole notamment les pays occidentaux ainsi qu’un probable épuisement des réserves d’or noir. Le pays doit alors penser à des alternatives à son produit phare tout en se garantissant une image positive aux yeux internationaux. L’Arabie Saoudite, bien que connue pour son recours fréquent au hard power dans ses relations internationales (violences militaires et économiques contre les pays du Moyen Orient) tente de redorer son image par des politiques internationales plus diplomatiques, des politiques internes plus respectueuses en apparence et des investissements qui, eux aussi, se veulent verts.
Depuis les années 1970, l’OPEP, bien qu’établie pour réguler le marché pétrolier mondial, a progressivement pris conscience des défis liés à l’épuisement des ressources fossiles et à la durabilité de ses réserves. Plus qu’une crainte immédiate de manquer de pétrole, les préoccupations de l’organisation se concentrent sur l’avenir de la demande énergétique mondiale, menacée par la transition vers des énergies renouvelables et des technologies plus propres. Cette prise de conscience s’est accentuée face à des enjeux économiques et environnementaux croissants, notamment avec l’émergence des véhicules électriques et la réduction progressive de la dépendance au pétrole dans de nombreuses régions du monde. En réponse, des pays membres ont élaboré des stratégies à long terme, telles que le plan national Vision 2030, qui vise à diversifier leur économie et à réduire leur dépendance aux hydrocarbures. Ainsi, l’OPEP surveille non seulement la gestion des réserves actuelles, mais également les transformations du marché global pour garantir sa pertinence dans un futur où le pétrole pourrait jouer un rôle moindre.
Quelles solutions ?
Aux alternatives qu’ont choisi les pays de l’OPEP, on pense à l’investissement dans le sport avec par exemple l’achat de clubs sportifs européens par des investisseurs Qatari, Saoudien, Emiratis ou Lybien comme le club du Paris Saint-Germain en France ou Newcastle en Angleterre. En Arabie Saoudite, le championnat Saudi Pro League a également investi en force pour se procurer des joueurs évoluant dans les meilleurs clubs mondiaux, notamment Cristiano Ronaldo. Le pays finance également des événements sportifs en Espagne et en Italie. On peut aussi penser à l'organisation de la coupe du monde de football 2022 attribuée au Qatar malgré les polémiques environnementales et humaines due à la création de stades dans un pays qui n’est pas traditionnellement impliqué dans le football. On sait aujourd’hui que la coupe du monde 2034 aura lieu en Arabie Saoudite, tirage étonnant puisque l’attribution suivait jusqu’alors une règle de roulement entre les continents. Ici, l’Asie obtient donc deux mondiaux de football en l’espace d’une dizaine d’année (2022 et 2034) avec une attribution aux Etats-Unis et Canada en 2026, Maroc-Espagne-Portugal en 2030 (habile participation de deux continents et avec quelques matchs en Uruguay). L'Australie, candidate à l'organisation 2034 s’est vue refusée l’analyse de son dossier par la commission FIFA pour cause de délais spéciaux ayant favorisé l’Arabie Saoudite (seule candidate officielle). Le même pays engagé dans le sport proposera les jeux asiatiques d’hiver en 2029 malgré sa géographie et espère obtenir les jeux Olympiques 2036.
Définition par l’exemple
Les exemple de l’utilisation du soft power par ce pays aux finances infinies ne manquent pas, alors, au lieu de lister les idées qu’ont trouvées les Saoudiens nous allons nous pencher en détail sur un exemple parlant qui saura représenter l’idée conceptuelle de soft power dans les politiques du pays. Cet exemple, c’est l’attribution de l’Exposition Universelle à l’Arabie Saoudite pour l’année 2030.
Les expositions universelles, démonstration artistiques et de puissance, se tiennent tous les cinq ans et durent au maximum six mois. Elles permettent au pays choisi de «se montrer au monde» tout en étant «un laboratoire pour les architectes», selon Dimitri Kerkentzes, secrétaire général du Bureau International des Expositions. La tour Eiffel, érigée à Paris à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, en est l’exemple le plus célèbre, tout comme l’Atomium et la Space Needle, icônes de Bruxelles et de Seattle, construites pour celles de 1958 et 1962. La dernière exposition, achevée à Dubaï en 2022, a enregistré 24 millions de visiteurs.
L’événement de 2030 est l’occasion parfaite pour redorer l’image du royaume à l’international. Depuis quelques années, le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane peine à effacer l’affaire Jamal Khashoggi, ce journaliste saoudien assassiné et démembré en 2018 dans le consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul. La piètre situation des droits humains dans son pays, les droits limités des femmes dans la société saoudienne et les accusations de crimes de guerre dans le conflit au Yémen entachent aussi lourdement la réputation de l’Arabie Saoudite, récemment fragilisée par la révélation de massacres de migrants à ses frontières. L’habituelle utilisation de la force doit maintenant être déguisée pour ne laisser voir que la façade humaniste et pacifique qui cache la réalité. Une stratégie bien plus simple que de se changer pour de vrai en démocratie libérale. Selon Elad Segev (2015), les conflits au Moyen Orient sont d’autant plus médiatisés que ceux présent dans d’autres coins du globe, c’est aussi selon ce problème d’image que doivent se battre les dirigeants de ces pays de la péninsule arabique et qui les poussent à s’inclure dans une forte démarche de transition radicale pour participer légitimement aux décisions mondiales.
Qui est responsable ?
La participation à l'Exposition Universelle s’inscrit dans une démarche d’ouverture sur le monde bien plus vaste. La pétromonarchie investit massivement dans le tourisme et l’industrie, développant à tour de bras des projets pharaoniques dans le cadre du plan «Vision 2030», une stratégie nationale lancée par l'Arabie saoudite en 2016 sous la direction du prince héritier Mohammed ben Salmane qui vise à diversifier l'économie du pays, à réduire sa dépendance au pétrole et à développer de nouveaux secteurs pour l'avenir, tout en améliorant la qualité de vie des Saoudiens. C’est une feuille de route ambitieuse pour un avenir où l’Arabie saoudite serait plus moderne, diversifiée économiquement, et connectée aux développements mondiaux. Dans son article Saudi Arabia, a risked state, Olivier Da Lage (2016) explique la volonté presque obsessionnelle de l’Arabie Saoudite de participer aux décisions de l’ONU comme un membre privilégié. La candidature aux conseil des droits de l’Hommes, plusieurs fois rejetée par l’ONU est encore perçue comme un frein majeur à l’ouverture totale de ce pays religieux au monde.
Dans son rapport accordant l’Exposition Universelle à l’Arabie Saoudite, les 170 membres du Bureau International des expositions, réunis à Paris n’indiquent que très peu de points à améliorer pour que l’Exposition se déroulent conformément aux droits humains, seulement un passage porte sur les trop peu d’efforts dans la distribution homme-femme des rôles. Selon l’essayiste Jean-François Colossimo (2024) ces actions favorisant les pays riches au détriment de la préoccupation écologique et humaine relèvent d’une “hypocrisie internationale”. En effet, les plans d’ouverture sur le monde que propose l’Arabie Saoudite sont certes impressionnant et alléchant d’un point de vue touristique et capitalistique mais ne sont-ils pas une aberration d’un point de vue écologique. Après avoir puiser dans les réserves fragiles de pétrole, voilà que les mêmes acteurs construisent des villes futuristes extrêmement énergivores et développent des centaines de projets internationaux allant à l’encontre des préoccupations écologiques actuelles. Alors, la question qu’il semble judicieux de poser porte sans doute sur les vraies préoccupations des citoyens en particulier des occidentaux. Sont-ils vraiment intéressés par les questions climatiques ou préfèrent-ils participer à des événements ultra-divertissant. On pense certainement que les invités à cette exposition refuseraient de s’y rendre compte tenu des conditions inhumaines dont sont victimes les travailleurs mais vont-ils vraiment boycotter un événement aussi exceptionnel à l’heure des réseaux sociaux, lorsque ceux-ci offrent un statut social plus fort à ceux qui vivent des événements de la sorte ? Du point de vue plus sociologique, Yuval Noah Harari (2011) dans son livre Sapiens explique que l’imaginaire capitaliste favorisera toujours l’Arabie Saoudite rayonnante à un festival éco-responsable et que ce n’est pas seulement aux gouvernements et aux organisations internationales de prendre des mesures pour éviter à l’Arabie Saoudite de bafouer les droits internationaux et les accord écologiques mais aussi aux citoyens de ne pas se rendre à ces événements pour ne plus qu’ils existent. Dans le contexte, les politiques développées par l’Arabie Saoudite pour renforcer son soft power ne vont pas à l’encontre de la demande internationale même si elles semblent complètement aller contre les principes de démocratie et les préoccupations écologiques. C’est aussi pour ces raisons que les organisations culturelles comme le Bureau International des Expositions, le Comité International Olympique ou des instances comme la FIFA ne s’opposent pas aux candidatures comme celles de l’Arabie Saoudite.
Au delà du lobbying
L'attribution de l'Exposition Universelle de 2030 à l'Arabie Saoudite n'est pas seulement le fruit d'une aspiration nationale à briller sur la scène mondiale ; elle incarne une stratégie de soft power minutieusement orchestrée, mais non dénuée de controverses. Pour remporter cet événement, Riyad a déployé une stratégie de lobbying à grande échelle, combinant actions diplomatiques ciblées, promesses d’investissements colossaux, et une mise en avant spectaculaire de son ambitieux plan Vision 2030. Ce plan, présenté comme une réponse aux défis économiques et sociaux du royaume, repose sur des projets futuristes tels que Neom, une ville prétendument écologique et high-tech, destinée à refléter l'engagement du pays envers l'innovation et la durabilité.
Cependant, derrière cette façade séduisante, des critiques se sont élevées concernant les méthodes et les intentions du royaume. Comme le souligne Chatterjee (2021) dans son article Soft Power and Global Governance: The Complexities of International Legitimacy, le soft power des nations riches en ressources naturelles repose souvent sur un paradoxe fondamental : l'utilisation de mécanismes attractifs pour masquer des déficits structurels en matière de droits humains et de gouvernance écologique. Dans le cas de l'Arabie Saoudite, ces tensions sont particulièrement marquées.
La campagne saoudienne a largement reposé sur une dynamique transactionnelle, incluant des promesses d'investissements bilatéraux dans les infrastructures, l'énergie et le tourisme des pays votants. Ce modèle d’échange met en lumière ce que Nye (2004) qualifie de “manipulation des préférences”, une approche où les valeurs éthiques et culturelles sont instrumentalisées pour servir des intérêts politiques et économiques. Ces pratiques, bien qu'efficaces, ont soulevé des interrogations quant à leur transparence. Plusieurs organisations non gouvernementales ont exprimé des doutes sur la conformité du processus de sélection aux principes éthiques et environnementaux généralement associés à de tels événements.
En outre, les promesses liées à des projets comme l'organisation de l’Exposition Universelle posent des questions sur leur faisabilité et leur impact réel. Les conditions de travail des ouvriers migrants, souvent dénoncées pour leur caractère exploitant, contrastent fortement avec l’image progressiste que cherche à projeter le royaume. De plus, les ambitions écologiques affichées semblent en désaccord avec les pratiques actuelles, comme la persistance d’une économie largement dépendante des hydrocarbures et l’absence de mesures significatives en faveur de la réduction des émissions de carbone.
Ainsi, l’attribution de l’Exposition Universelle de 2030 à l’Arabie Saoudite ne peut être dissociée d’une analyse critique des projections globales de pouvoir. Si cette victoire diplomatique témoigne de la capacité du royaume à influencer les processus décisionnels internationaux, elle reflète également les limites d’un système mondial où les considérations économiques prévalent souvent sur les principes fondamentaux de justice sociale et environnementale. Pour véritablement s’imposer comme un acteur légitime et respecté sur la scène internationale, l’Arabie Saoudite devra aller au-delà des apparences et démontrer un engagement réel envers les valeurs qu’elle prétend incarner.
Conclusion
En somme, l'attribution de l'Exposition universelle de 2030 à l'Arabie Saoudite illustre parfaitement les tensions et contradictions qui façonnent le monde contemporain. Si le pays ambitionne de se transformer en une puissance moderne et attractive grâce à des projets ambitieux comme Vision 2030, cette démarche soulève de nombreuses questions sur sa réelle volonté de s'aligner sur les normes éthiques, écologiques et démocratiques. À travers l'utilisation habile de son soft power, le royaume parvient à masquer ses lacunes structurelles en matière de droits humains et de durabilité, tout en séduisant une communauté internationale souvent divisée entre pragmatisme économique et idéaux politiques.
Cependant, cette stratégie de réhabilitation ne saurait être pleinement réussie sans un véritable engagement pour le respect des principes universels. Le poids des citoyens, des institutions et des gouvernements dans l'acceptation ou la contestation de tels événements demeure crucial. Il appartient à chacun, dans un monde façonné par l’imaginaire capitaliste et les réseaux sociaux, de décider quelles valeurs doivent guider les interactions internationales. L’Arabie Saoudite, tout en s’inscrivant dans une démarche globale d’ouverture, devra tôt ou tard répondre à ces attentes pour espérer une adhésion durable et légitime à l’ordre mondial.